Peopolisation des politiques : l’art de la séduction

Les hommes et femmes politiques sont de plus en plus nombreux à se montrer dans les magazines. La faute à leurs attachés de presse et directeurs de communication qui n’ont qu’un but : séduire le français moyen.

 

Paris-Match en a fait son gagne-pain depuis longtemps. Gala et Closer lui consacrent de plus en plus de pages dans leurs magazines. L’homme politique est une espèce qui attire l’œil dans les rayons « presse » des supermarchés et des bureaux de tabac. Madame Michu aime découvrir qui sont ces gens qui nous gouvernent. Elle consomme tout ce qui se trouve à sa portée pour désaltérer sa soif de potins. Et ça, Franck Louvrier, responsable des relations avec la presse lors de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, et sa rivale du côté de Ségolène Royal, Nathalie Rastoin, l’avaient bien compris.

Dès 2005 et durant toute cette campagne présidentielle, la notion de peopolisation des hommes et femmes politiques avait pris une envergure sans précédent. Le programme politique des deux adversaires était souvent éclipsé par la personnalité du candidat en elle-même. Ainsi, on a beaucoup parlé du départ de Cécilia Sarkozy du domicile conjugal et de sa relation avec l’homme d’affaires Richard Attias. L’image de Nicolas Sarkozy, sommé de s’expliquer sur sa vie privée au journal télévisé, est encore dans toutes les mémoires. Le ministre de l’Intérieur y dévoilait alors une personnalité qu’on ne lui connaissait pas : un homme abandonné par sa meilleure alliée, un homme trompé par son épouse. Le parfois irritant Ministre de l’Intérieur devenait attendrissant.

 

Femmes, enfants, chiens, le trio gagnant

 

Paris-Match est le passage obligé de tous les personnages politiques français et étrangers. Combien de politiciens, de droite ou de gauche, ont posé dans leurs cuisines avec femme et enfants et parfois même le chien ? Leur image est ainsi dopée par cette démonstration de sa normalité. Ils sont des hommes comme tout le monde et comprennent les préoccupations des français parce qu’ils ont une famille. Le français moyen a plus confiance en quelqu’un qui lui ressemble pour défendre ses droits que dans un homme qui montre une image altière de lui. Ainsi, Nicolas Sarkozy a souvent déclaré aimer la variété française, le football et la bonne chère. Des petits éléments qui ont progressivement fait oublier qu’il vient de la ville huppée de Neuilly.

Cette nouvelle manière de faire campagne amène aussi une nouvelle conception des hommes au pouvoir. On ne choisit plus un programme, on choisit une personne mais on choisit surtout un concept. Le candidat à une élection est façonné par son équipe de campagne pour charmer une tranche d’âge ou une classe sociale précise. Les responsables de la communication font sa promotion de la même manière qu’ils vendraient la nouvelle voiture d’une célèbre marque française. Pour ce faire, ils envahissent les magazines mais aussi les plateaux télé. Ils se risquent à répondre aux invitations des Ruquier, Ardisson ou Calvi, pros du talk-show et des questions bien senties. Les plus chanceux ont droit à tout un dimanche sur le canapé rouge de Michel Drucker, émission très populaire auprès de Madame Michu. Et là, c’est le jackpot !

 

Peopolisation… Mais pas que !

 

Cette exposition médiatique ne date pas d’hier. On se souviendra de Valery Giscard d’Estaing dinant chez une famille de « Français moyens », le 22 janvier 1975, ou de la campagne de com’ ratée de Jacques Chirac en 1987, assis dans l’herbe, en jeans, un walkman sur les oreilles en couverture de Match. Il se voulait décontracté mais cette image nouvelle du « bulldozer » n’y a rien fait. Il n’a pas gagné la présidentielle de 1988 face à François Mitterrand. Un homme politique sympathique n’est pas forcément compétent et ça, les Français l’ont, pour la plupart, compris. Les bonnes audiences des débats des primaires et des émissions politiques prouvent qu’ils s’intéressent à la forme mais aussi, heureusement, encore au fond. Beaucoup de spécialistes de la politique s’accordent pour dire que Nicolas Sarkozy a gagné les élections présidentielles lors du débat final contre Ségolène Royal. Il a su se vendre tout seul, par sa personnalité. Lui a-t-on soufflé sa conduite ce jour-là ? Pas si sûr…

La presse écrite, la télévision et le web, grâce à l’apparition des webtélés, permettent aux hommes politiques de faire campagne jusque dans les salons de leurs concitoyens ou dans les salles d’attente de dentistes. Ils sont maintenant omniprésents et se livrent une guerre sans merci pour obtenir les voix qui leur permettront de s’élever dans la sphère politique. Ils n’oublient pas que, sans Madame Michu, ils n’existent pas. Alors, ils la courtisent, la séduisent pour qu’elle leur donne son plus précieux témoignage d’affection : sa voix dans les urnes. Et tous les moyens sont bons pour la ravir à l’adversaire….

 

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J. Dakhlia : « Une forme de consécration »

 

Jamil Dakhlia est l’auteur de plusieurs livres sur la peopolisation des politiques dont « Politique people », publié en 2008 aux éditions Bréal. Il nous parle des origines de ce phénomène et de la manière dont les hommes politiques en font usage.

 

D’où vient ce phénomène de « peopolisation des politiques » ?

 

Historiquement, la peopolisation des politiques apparait en France au début des années 2000, à l’approche des élections présidentielles de 2002. Mais la mise en scène de la vie des hommes politiques existait déjà pendant la IIIe République. On voit déjà des hommes proches des gens, en famille. Plus près de nous chronologiquement, John Fitzgerald Kennedy était un symbole de ce phénomène, avec Jackie, sa femme. Il a beaucoup inspiré Valery Giscard d’Estaing, qui a engagé un conseiller de Kennedy au temps où il était président et Nicolas Sarkozy s’en inspire beaucoup aussi.

Quel est l’intérêt pour un homme politique de dévoiler sa vie privée dans les magazines ?

L’intérêt présumé, c’est d’apparaitre plus proche des gens. Tous les hommes politiques ont, à un moment ou un autre, droit à un reportage dans Paris-Match. C’est une forme de consécration et de reconnaissance. Grâce à ça, il essaye aussi de compenser l’image distante et hautaine que les gens ont de la politique.

La peopolisation des politiques a-t-elle un impact sur les résultats des élections, qu’elles soient présidentielles ou législatives ?

Le lien entre la peopolisation et les résultats est impossible à prouver. Néanmoins, en 2007, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont joué de leur peopolisation pour séduire les électeurs et on a vu que les gens s’étaient plus déplacés que la moyenne. Mais la peopolisation desserre parfois les hommes politiques. Fin 2007, les résultats des sondages sur Nicolas Sarkozy étaient mauvais parce que les français n’aimait ce côté bling-bling qu’il avait montré juste après son élection. L’image que l’on montre dans les magazines est parfois une faille plutôt qu’une qualité.

Les hommes politiques peuvent-ils encore avoir une vie privée maintenant que la presse multiplie les articles et les photos sur ce sujet ?

En France, on a encore un cadre juridique très protecteur. Tout individu a droit à une vie privée. Les gens ont un arsenal de lois et de procédure pour défendre leur intimité. Mais si certains médias se permettent de parler de la vie privée des hommes politiques, c’est parce que les hommes politiques se sont montrés avant. C’est le cas de Ségolène Royal. Pendant la campagne présidentielle de 2007, on l’a beaucoup vu dans les magazines et, au bout d’un moment, les journaux ne lui ont même plus demandé son avis et ont publiés, par exemple, des images d’elle avec son nouveau compagnon. Alors, elle a fait des procès et a décidé de ne plus rien montrer. Mais les journalistes s’autocensurent beaucoup. Ils l’ont fait en ce qui concerne Nicolas Sarkozy. Ils ne publient pas tout. Et les journalistes laissent les hommes politiques tranquilles. C’est le cas de Bertrand Delanoë. Il a fait son coming-out, disant qu’il n’en parlerait qu’une fois et depuis, on n’en a jamais reparlé.

Y a-t-il des dérives dans ce domaine et si oui, quelles sont-elles ?

Il y a parfois des hommes politiques qui montrent d’eux une image complètement fausse qui leur permet de tromper les gens. C’est le cas de Silvio Berlusconi qui se présente sous l’image populiste d’un homme normal alors que c’est l’une des premières fortunes d’Italie. Nicolas Sarkozy a souvent dit que la vie avait été dure pour lui alors qu’il vient d’une famille riche. Il y a aussi des journaux qui publient des informations simplement pour parler d’un homme politique. Il y a une frontière quand l’information publiée ne sert pas l’intérêt général.

L’affaire DSK est-elle un symbole de ses dérives ?

C’est inutile de juger l’adultère. C’est quelque chose de courant, qui arrive à tout le monde. Mais il était intéressant de savoir que, malgré son pouvoir et sa fonction dans une institution aussi importante que le FMI, il se laissait aller à ce genre de pratiques. Mais l’affaire DSK, ce n’est pas de la peopolisation, c’est un processus judiciaire. C’est logique qu’on en parle, qu’on sache les éléments de l’enquête mais tous les détails sur sa vie privée, ça ne nourrit pas l’enquête donc ça fait partie des informations qui ne servent pas l’intérêt général.

Qui est le champion de la peopolisation aujourd’hui en France ?

Jusqu’en 2010, on pouvait citer Ségolène Royal, Rachida Dati et Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui, le champion, c’est le président de la République. La naissance de sa fille Giulia, c’est du pain béni pour lui. Il s’affiche comme un bon père de famille alors que celui qui était censé être son rival le plus tenace, Dominique Strauss-Kahn, apparait comme un pervers. Nicolas Sarkozy a dit qu’il ne voulait pas communiquer sur la naissance de sa fille mais il en parle quand même de manière détournée. La seule chose qui pourrait le desservir, c’est que les Français se mettent à croire qu’il pense plus à son foyer qu’à eux.

Une des personnes qu’on voit de plus en plus dans les médias, c’est Marine Le Pen. Le Front National n’est donc plus un tabou pour la presse ?

Marine Le Pen a entreprit un programme de communication assez intelligent. Elle devient agréable, accueillante à l’égard des journalistes. Elle dit vouloir garder sa vie privée mais des informations ont filtré, intentionnellement, sur sa vie privée et la rendent sympathique. Elle dit encore qu’on ne la voit pas assez dans la presse mais elle est moins pestiférée que son père. Jean-Marie Le Pen ne passait à la télé que lors de débats à deux. On ne l’invitait jamais à participer à des débats à plusieurs. Maintenant c’est le cas pour Marine Le Pen. Elle a beaucoup de bagout et elle sait intervenir là où il faut pour être vue par les Français.

Au contraire de Marine Le Pen, on ne voit quasiment pas les hommes politiques d’extrême gauche. Pourquoi restent-ils si discrets ?

Pour eux, la presse « people » représente l’aliénation des masses. On leur vend du rêve, quelque chose d’irréel. Olivier Besancenot a enfreint la règle en apparaissant dans Vivement Dimanche et a été lourdement critiqué. Jean-Luc Mélenchon ne veut pas subir les critiques que Besancenot a pu recevoir. C’est pour ça qu’on ne le voit pas dans les magazines.

Aujourd’hui, en politique, qu’est-ce qui est le plus important : le fond ou la forme ? Le programme politique ou la personnalité du candidat ?

Le fond est encore essentiel. La personnalité du candidat doit correspondre au programme qu’il défend. C’était le problème de Ségolène Royal pendant la campagne présidentielle de 2007. Elle avait sa personnalité et ses idées mais le programme qu’elle représentait était préfabriqué par le Parti Socialiste donc les électeurs ne se sont pas retrouvés dans ses propositions. Si le programme n’est pas défendu avec conviction, on ne peut pas gagner.

 

 

 

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Nicolas Sarkozy, le nouveau Kennedy ?

 

Valery Giscard d’Estaing avait déjà essayé de s’inspirer du président américain, qui avait tragiquement péri à Dallas le 22 novembre 1963. Il avait modernisé la fonction présidentielle : il s’était montré dynamique, moderne, avait présenté ses vœux aux Français avec son épouse près de la cheminée. Mais la France a aussi son JFK d’aujourd’hui : Nicolas Sarkozy.

Adepte, comme Kennedy, des lunettes de soleil Ray-Ban, la vie privée de Nicolas Sarkozy est à l’image de son illustre prédécesseur américain. Son mariage avec Cécilia puis son union avec Carla intéressent autant la presse que le couple mythique de John et Jackie Kennedy. D’ailleurs, Carla est la meilleure ambassadrice de son mari. Lors de ses voyages à l’étranger, la presse ne parle que d’elle, de ses looks et de son élégance. Beaucoup la comparent à la mythique First Lady dans son apparence. On se rappelle de ses tenues lors de son voyage en Angleterre et de sa présentation à la reine Elizabeth II. Pour son premier déplacement en qualité d’épouse de chef d’état, Carla avait choisi des vêtements qu’on aurait crus sortis de la garde-robe de la mythique First Lady américaine.

Nicolas Sarkozy a déjà copié l’ancien président des Etats-Unis. Il a été photographié dans son bureau du Ministère de l’Intérieur avec son fils Louis comme Kennedy l’avait été avec son fils John John dans le bureau ovale de la Maison Blanche au début de son mandat. Nicolas Sarkozy tente de gérer les crises financières de la même manière que John Fitzgerald Kennedy gérait la Guerre Froide avec les communistes. Avec élégance, charisme et fermeté. Y arrive-t-il ? Ca, nous ne pouvons pas en juger….